Résumé : |
Quand Aude, aspirante journaliste, décide de frapper à la porte de Capitaine pour enquêter sur le Morne Dédé – un quartier de Port-au-Prince en déshérence qui connut son heure de gloire à l’époque de la dictature, lorsqu’il abritait les opposants –, elle n’est rien d’autre aux yeux du vieil homme qu’une jeune bourgeoise qui n’a connu que “des souffrances de contes de fées”, l’héritière d’une longue tradition de familles opulentes ayant bâti leur fortune sur le dos des pauvres gens.
Mais à ce vieillard acariâtre figé dans son fauteuil, la jeune fille offre également l’occasion de déchirer le silence, provoquant d’abord sa colère, puis parvenant peu à peu à ressusciter le grand maître d’arts martiaux qu’il a autrefois été, du temps où il se battait pour faire vivre son club, un lieu d’apprentissage, du temps où une mystérieuse élève l’avait ensorcelé et enjoint à servir “la cause”, une femme dont il était tombé fou amoureux avant de la haïr.
Parce qu’elle apprend, malgré elle, à poser un regard critique sur le milieu protégé dont elle est issue, où l’on se marie entre cousins pour perpétuer la couleur de peau des dominants en se frottant le moins possible aux “autres”, qu’elle sait, dès lors, voir plus loin que le bout de son portail sécurisé, et peut-être parce que, à travers son grand frère Maxime, atteint de troubles psychiques, elle porte en elle l’altérité depuis sa naissance, Aude commence à faire sa place dans cet ailleurs. En la personne du vieil homme et de quelques jeunes “échoués”, elle identifie un autre monde, une nouvelle humanité et, avec elle, le chemin pour faire de la vie une cause commune.
« QUE PEUVENT SE DIRE un vieil expert en arts martiaux vivant en solitaire dans un quartier pourri et une jeune bourgeoise de vingt ans, dans un monde dominé par les préjugés et les écarts sociaux ?
Ne m’appelle pas Capitaine se veut le roman de l’impossible conversation entre l’un et l’autre. Les confidences du vieux et le monologue de celle qui semble être à ses propres yeux une jeunette sans profondeur prennent l’allure d’un combat entre une mémoire torturée par les déceptions amoureuses et les années de dictature et une légèreté sans empathie ni inquiétude qui n’a jamais appris qu’à consommer le monde. Pourtant, chaque fragment de récit amène l’introspection. Entre la belle Aude et le vieux Capitaine se met peut-être en place une petite victoire du langage sur ses propres limites, sur les déterminations et conditionnements qui divisent et emprisonnent. Leur conversation s’enrichit des mots de l’oncle Antoine et d’une bande d’enfants des rues, Jameson, Malouk, Abner, Foufoune qui y apportent chacun leur part de rage, de rêve et de mystère.
Se posent, disséminées dans ces multiples petits récits, les questions de l’amour et de la violence. Que fait-on de ce que l’aimant nous donne ? Et quand la violence nous écrase et commande une réponse, jusqu’où peut-on aller dans la violence ?
Ce qui se cache tant que les choses ne sont pas dites, révélées, peut être la part la plus forte du réel. Que peut-on entendre ou pas de ce que, enfin, l’Autre nous dit, nous révèle ? Vers quel soi-même insoupçonné nous conduit le miracle d’une oreille attentive ? L’hypothèse est-elle folle d’un langage et d’un agir abattant les barrières entre castes, générations, ghettos, clans ?
Ne m’appelle pas Capitaine, une conversation débutant par sa négation qui en vient à exprimer au fil des pages à la fois le désespoir et l’espérance que cachait le silence. »
L. T. |